Resmusica.com Le 25 mai 2023 par Michèle Tosi
Soirée multiphonique au 104 de la Maison ronde
« Les montagnes mystiques (Gravir #2) de Vincent Laubeuf, en seconde partie de concert, retiennent toute notre attention.
L’œuvre est le deuxième volet d’un cycle initié en 2022 (L’appel de la montagne, Gravir #1) faisant appel à des expériences vécues et des prises de son in situ : « une histoire d’ascension », nous dit le compositeur s’agissant de Gravir #1, l’approche de trois lieux sacrés au Japon (Monts Iwato et Miwa, sanctuaire Sugajinja) pour Gravir #2. Ainsi le compositeur nous communique-t-il sa passion pour le Japon, un pays dont le contexte semble s’accorder à son rythme intérieur. Il est le seul compositeur de la soirée à profiter pleinement de la richesse de l’acousmonium à la faveur d’une projection multicanale très immersive et la qualité d’une interprétation qui rend compte des couleurs et d’une certaine matérialité du son (bris de bois sec, pas du marcheur, fraîcheur des fontaines, etc.). Des coups réguliers entendus en lever de rideau et une trame fluctuante longuement entretenue amorcent le voyage avant que les bruits de nature (chant d’oiseau et autre field recording) modifient l’espace et la temporalité. Laubeuf aime entretenir ces allers-retours entre le monde extérieur et l’espace intérieur du rituel, avec ses sonneries, ses bribes de chants sacrés, dans l’épure de la matière et le temps étiré. Les textures délicates, le montage soigné et l’aura poétique magnifient cette expérience sensorielle teintée de mysticisme. »


Diapason de décembre 2019, Pierre Rigaudière 685 p 93
À propos du CD « …On ne sait pas »
« À l’écoute de ce programme, on sera tenté d’associer Vincent Laubeuf au versant « instrumental» de la musique acousmatique. Ouvrant Dans le silence on ne sait pas (2015) par une citation de La Création de Haydn, le compositeur ancre la pièce dans le son acous­tique, tout en lui appliquant de nom­breuses transformations anamor­phiques, avec une forte présence de l’électronique.
Au magma du « chaos » haydnien, puis à une ambiance naturaliste suc­cédera une section bien plus ora­geuse, déclenchée par l’accord initial de Haydn (et son roulement de timbales) dont la citation avait été amputée. Un passage rythmé par des échantillons de caisse claire et autres instruments percussifs, possible allusion à la musique techno, se dissout ensuite progres­sivement dans une ambiance anxio­gène de vents solaires et grésille­ments de ligne à haute tension. « Dans le bruit on ne sait » pas offre un matériau très proche, traité cepen­dant de façon bien différente, no­tamment par le recours intensif à sa mise en boucles. Un motif mélo­dique cyclique soumis à un dépha­sage et un effet Doppler, des nappes harmoniques issues de Haydn, un scintillement électronique tendant vers le parasitage électrique, un bref appel de trompette fortement ré­verbéré et latéralisé, ou encore l’intégration de field recording : les moyens sont aussi simples que leur combinaison est sophistiquée. Un bel espace poétique et dramatur­gique, qui n’aurait assurément pas la même profondeur s’il n’était pas préparé par le premier volet de ce diptyque. »


Resmusica.com Le 27 avril 2013 par Michèle Tosi
Critique du CD « »
« Discret autant que prolifique, Vincent Laubeuf, actuel directeur de la Compagnie Musicale Motus, sort son second album monographique réunissant six pièces électroacoustiques sous la forme d’un livre-CD d’une conception graphique très originale.
On pénètre d’emblée dans l’univers sensible et attachant du compositeur avec Douce et Monotone (2007), une pièce dans laquelle Vincent Laubeuf mixe sons naturels (chants d’oiseaux, bribes de conversation) et sons de studio pour recomposer un paysage singulier où les deux mondes interfèrent subtilement. Le même processus opère dans Paysage-ville (2005) mettant à l’œuvre de manière plus contrastée ces aller-retour entre nature (la rumeur ambiante d’un quartier de Paris) et artifice (sons en boucle, montage, articulation…) pour mieux « dénaturer » et recomposer. Plus étrange, dans Sur la place (2004), cet accordéon façon arte povera qui fait office de rengaine/refrain aux côtés de « couplets » plus luxuriants. Noumène #1 et Noumène #2 sont des pièces jumelles (mais séparées dans l’enregistrement) dans le sens où des sons communs y circulent mais dans un contexte sensiblement différent, plus onirique dans la seconde. Vincent Laubeuf travaille sur l’hétérogénéité des matériaux (orage, joute de cornemuses, mer, percussions/résonance, volées de cloches, voix…) qu’il juxtapose, superpose, dans un ensemble foisonnant assez rare chez le compositeur: plus que le sens de la forme, c’est la jouissance du son et de l’écoute qui gouverne ici.
De plus grande envergure et certainement la pièce la plus accomplie de cet album, Fine amor (2010) fait partie d’un projet collectif sur Don Quichotte, Temporada Utopica. Si l’on y entend des extraits du Don Quichotte de Cervantes, en espagnol et en français, le titre de la pièce fait référence à l’amour courtois des troubadours (Can vei la lauzeta mover de Bernard de Ventadour) et trouvères (extrait de Tristan et Iseut). Les interventions des voix (François Bauer et Térésa Lopez Cruz) formant une texture fragile semblent ici articuler la grande forme. On y retrouve la fibre poétique de Calme et monotone mise au service d’un texte auquel le matériau sonore, souvent répétitif, confère son temps et son espace. Maître de la forme et de la poétique sonore, Vincent Laubeuf s’y révèle également très fin « orchestrateur ».

Resmusica.com, le 30 mars 2011 par Michèle Tosi
« La toile sonore de Vincent Laubeuf
“Pour son premier album monographique sous le label Motus, Vincent Laubeuf réunit six pièces acousmatiques couvrant une période de dix années (2000-2009) qui permettent d’appréhender toutes les facettes de son travail de studio.
Et dès la première pièce de cet enregistrement, c’est la singularité du matériau et la finesse des textures qui suscitent l’intérêt et créent la tension de l’écoute ; de manière récurrente, Laubeuf opère des allers/retours stratégiques entre sons de synthèse et bruits de nature pour jouer ensuite avec maestria sur l’interférence de ces deux mondes : tel est le propos de A travers un monde dénaturé où il met à l’œuvre une matière riche et scintillante, toujours vivante. Raréfaction – qui donne son titre à l’album – accueille la voix et la poésie d’Hervé Bauer ; dans une polyphonie transparente à fleur de sons et de gestes, Laubeuf tisse un lien fragile et sensuel entre le mot et son décor sonore toujours suggéré. La matière se colore, les contours s’affirment et les sons s’obstinent dans Une histoire de désordre puis dans Une Passacaille (ou presque) qui regorge de trouvailles sonores et réactive ici le principe d’un ancien modèle formel. Sous terre/Exploration déroule une toile sonore presque pastorale (orage compris) dans un parti pris hédoniste et plutôt solaire en dépit de son titre. C’est la même exigence dans le choix du matériau et l’ordonnance des plans sonores qui président à l’élaboration de Seuils, territoires (2008), une pièce qui a été crée sous la verrière du Grand Palais lors de l’exposition Monumenta de Friedrich Serra ; mais ici la profondeur de champ et l’étirement spatio-temporel se mesurent à l’aune monumentale des lignes architecturales.“